Il y a urgence à redonner le goût des maths à tous les jeunes
Galilée écrivait que « le livre de l'univers est écrit en langue mathématique ». Comme la terre est ronde, les mathématiques sont le cœur et le moteur des économies développées. Leur enseignement sans discrimination sociale, ni de genre est une priorité vitale que défend avec force et détermination notre Fondation.
Parlons de l'impact - majeur -des mathématiques sur notre économie nationale. Un article des Echos explique ainsi comment cette discipline contribue puissamment à notre prospérité économique, sur la base d’une étude de l’ Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi). En 2019, 18% des 2,170 milliards d'euros de valeur ajoutée produite en France proviennent des maths, soit 3 millions d’emplois. Un chiffre en progrès qui nous place au niveau du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Cependant on peut s’interroger sur le maintien de cette dynamique dans les années à venir.
Avec des besoins de plus en plus importants dans les métiers où les maths irriguent l’innovation, la modélisation des données, l’ingénierie climatique, les transports décarbonés, le développement de l’intelligence artificielle et de la révolution quantique, il faudra de plus en plus de jeunes formés aux mathématiques. Mais, aurons-nous la capacité de relever ce défi alors que le niveau de maths continue de baisser et que le nombre de professeurs d’université en mathématiques décroît.
Les plans maths
Le Gouvernement a réagi face à cette situation préoccupante. Le ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye a ainsi annoncé l’arsenal de mesures le plus complet depuis le plan maths de Cédric Villani en 2018. Celui-ci concerne à la fois les enseignants, les élèves faibles en maths comme les meilleurs, les filles comme les garçons, depuis la primaire jusqu’au lycée.
Jugez par vous-même :
- En primaire : dès la maternelle, les stéréotypes de genre seront questionnés en valorisant les modèles féminins. Sur la compétence mathématique des professeurs des écoles, un dispositif de formation doit toucher l’ensemble des effectifs d’ici 4 ans de manière que tous soient à l’aise avec cette discipline pour laquelle une majorité ne maîtrisent que trop peu car ils proviennent majoritairement de formation en sciences humaines ou en lettres.
- Au collège : des clubs de maths pour développer et cultiver le goût pour les mathématiques seront lancés en 2023. En 6e, des groupes, à effectifs réduits, seront mis en place sous forme de module de consolidation de 1 h 30 par semaine pour les collégiens les plus en difficulté, et de module d'approfondissement, de 1 h 30 aussi, pour ceux qui peuvent aller plus loin. En fin de 3ème, les élèves devront certifier leur niveau par rapport à un « cadre national de compétences en maths ».
- Au lycée : en classe de 2nde, les élèves les plus en difficultés auront un module d’1h30 de « réconciliation avec les maths ». En classe de 1re, réintroduction d’un enseignement de mathématiques obligatoire à la rentrée 2023 pour les lycéens de la filière générale qui n’auront pas pris la spécialité mathématiques (une heure et demie de cours en plus par semaine consacré à cette discipline).
L’analyse de notre Fondation
Quelle est notre analyse de cette approche volontariste et ambitieuse ? Avec ces mesures, L’Éducation nationale renforce le nombre d'heures, prend en compte les différents niveaux, apporte des ressources aux personnels enseignants en primaire trop peu à l’aise avec les mathématiques. Mais il nous semble qu’il manque trois dimensions : celle des prérequis à acquérir pour accéder aux mathématiques dès le plus jeune âge, particulièrement pour les enfants de milieux modestes, celle du développement du goût des maths et la manière dont on fait reculer les stéréotypes de genre qui éloignent les filles de cette discipline.
Sur les prérequis en primaire. Depuis longtemps, les études montrent l’impact du langage et de la pratique des jeux d’éveil aux mathématiques notamment pour les enfants issus de milieux modestes. D’un côté, connaître les mots permet de comprendre l’énoncé d’un problème, de l’autre, la manipulation par le jeu permet d’accéder à l’abstraction progressivement, or ces deux aspects semblent absents. C’est justement la raison d’être d’associations comme Coup de Pouce, d’apporter ces prérequis aux enfants qui n’en disposent dans le cadre familial à l’inverse des enfants favorisés. C’est la première inégalité qu’il nous paraît crucial d’adresser.
Les mathématiques peuvent être ludiques
Suffit-il de donner plus d’heures à un enfant ou un adolescent qui ne voit pas l’intérêt des maths pour le convaincre ? Là encore, des associations comme Entreprendre Pour Apprendre, avec la mise en situation des jeunes dans le cadre d’une mini-entreprise, montrent comment l’outil mathématique vient soutenir le projet collectif. Je me souviens encore d’un entrepreneur boulanger qui faisait résoudre des problèmes de maths à ses apprentis en leur donnant un stock de différents pains, un plan de distribution avec des quantités et qui les amenait avec aisance à effectuer des calculs sous forme de fractions que beaucoup d’élèves redoutent habituellement. Les maths, dès qu’elles sont associées à une utilisation concrète ou à une activité motivante, prennent une dimension plus parlante voire ludique. C’est bien toute la différence entre apprendre les maths sous forme de problèmes et utiliser les maths pour résoudre des problèmes. C’est là que les associations peuvent proposer une approche des mathématiques avec ce pas de côté qui fait trop souvent défaut aux enfants issus de milieux modestes et qui rendent les maths progressivement discriminatoires.
Déconstruire les stéréotypes de genre
Sur la question des stéréotypes de genre, il s’agit d’une autre approche. Le Gouvernement propose davantage de role models, ce qui est très important. Certains films comme « Les figures de l’ombre » où est mis en avant le rôle crucial des femmes « calculatrices » de la NASA dans la conquête de la lune peuvent avoir une réelle influence. Mais, ces démarches ne suffisent pas.
Des études comme celle de l’OCDE, montrent que la poursuite des maths est aussi une question de confiance en soi, de sentiment de légitimité des filles en sciences. Je pense à l’action de mentorat de l’AFEV où les étudiantes ouvrent la voie pour leur mentorée vers les études qu’elles suivent. Elles sont la preuve vivante que c’est possible !
Pour tous ces aspects majeurs de l’accès aux maths et de l’accrochage des jeunes à cette matière, on voit l’importance de l’apport des associations éducatives en complément des mesures gouvernementales.
Une expérience personnelle
Il y a un enjeu majeur pour la France, mais également pour les destins individuels des jeunes qui se préparent aux métiers de demain. Je vous invite à consulter d'urgence l'étude de l'impact économique des mathématiques en France" publié par l'INSMI.
Je suis par essence d'autant plus sensible à ce sujet que je dois personnellement beaucoup aux mathématiques. Aujourd'hui, je dirige une Fondation d'éducation, mais avec toute la force de mon parcours à la fois dans les sciences et dans la finance. Les mathématiques ont toujours été présentes, centrales dans ma formation intellectuelle, ma manière de lire les problèmes et de trouver des solutions, que ce soit pour les mobilités électriques, les actifs financiers ou la reforestation, ou plus récemment pour appréhender la question du décrochage scolaire de manière systémique.
Je plaide donc naturellement pour les maths. Nous en avons tous besoin. Plus qu'une science c’est une manière d'appréhender le monde avec recul et sérénité, pour mieux le décrypter dans sa complexité, et, comme on dit aujourd'hui, « cracker les codes » qui nous résistent. L'Éducation nationale prend le problème à bras le corps et c’est une bonne nouvelle, mais il faudra toute l'aide de l'associatif pour faire reculer l' « innumérisme » - cet équivalent de l’illettrisme pour les chiffres - et inverser cette tendance lourde des maths comme discrimination sociale et de genres afin que la jeunesse d’aujourd’hui ne passe pas à côté des métiers d’avenir et des perspectives qui s’offrent à elle.
Elisabeth Elkrief, directrice générale de la Fondation AlphaOmega