Niveau des élèves

 

La méthode Singapour peut-elle sauver les maths en France ?

 

Il suffit de se pencher sur les choix d'orientation des lycéens et des lycéennes pour se rendre compte que les sciences sont les grandes perdantes de l'attractivité des filières. A l'heure où les disciplines récentes comme la géopolitique remportent un franc succès auprès des adolescents et créent des vocations, on peut se demander où est passée la ferveur scientifique, le goût de la résolution de problèmes ou l'envie de faire la lumière sur les mystères de l'univers. Il faut bien se rendre à l’évidence, les adolescents préfèrent écouter des podcasts sur la politique que de mettre le monde en équation.

 

Comment combler le fossé qui s'est progressivement installé entre la jeunesse 
et les maths ?


On pourrait consacrer beaucoup d'énergie à critiquer l'école qui ne transmet plus la flamme, ou les enseignants pour la plupart formés aux sciences humaines plutôt qu'aux sciences dures, ... à perte. Aujourd'hui les faits ont la vie dure : les lycéens qui choisissent les maths en spécialités sont 36%, les filles commencent à décrocher dès le CE1, les évaluations pointent un affaissement du niveau depuis le début des années 2000. Il est temps de s'interroger : soit les jeunes ont perdu des capacités cognitives avec les écrans comme veut bien l'affirmer Michel Desmurget dans "La fabrique du crétin digital", soit quelque chose d’autre cloche.

 

Pour l’actuel gouvernement qui tire la sonnette d’alarme, le problème c’est la méthode. Le Premier ministre, Gabriel Attal martèle le déploiement de la méthode Singapour dès la rentrée prochaine. La généralisation de cette « méthode » pourrait-elle sauver le niveau des élèves en France ?

 

La méthode de Singapour représente une approche concrète des mathématiques

 

Elle vise à faire passer l’élève du concret à l’imagé pour aboutir à l’abstrait en commençant son apprentissage des maths par la manipulation d’objets. Elle s’appuie également sur des schémas en barre pour aider les élèves à se représenter un problème arithmétique. Depuis plus de 20 ans, on en parle car la cité-État de Singapour caracole en tête des classements PISA en mathématiques. Cette réussite est telle que 60 pays l’ont adopté dont le Royaume-Uni depuis 2016.

La question aujourd’hui ne serait plus de savoir si l’on est pour ou contre l’adoption de cette méthode mais plutôt : pour répondre à quels enjeux et comment la mettre en place.

 

La mise en place d’une méthode qui a fait ses preuves ailleurs va-t-elle de soi ?

 

Pour les sceptiques, la transposition d’une méthode d’un pays aussi particulier que la Cité-État de Singapour avec ses 5 millions d’habitants fait débat. Outre les manuels qui distillent l’approche « concrète-imagée-abstraite » des mathématiques, l’enseignement des mathématiques s’organise avec des modalités différentes des autres pays. Le temps de formation des profs est de 100 heures par an, les manuels sont contrôlés par une commission ministérielle, les programmes sont revus tous les six ans et s’adossent à un institut scientifique et pédagogique en pointe sur les toutes dernières pratiques en mathématiques. Des conditions ne sont pas toutes présentes dans les autres systèmes éducatifs. Pour autant, doivent-elles être impérativement réunies pour produire des résultats ?

Le Royaume-Uni pourrait être un élément de réponse sur cette appropriation. L’expérimentation a été lancée auprès de la moitié des écoles primaires britanniques dès 2016 en se concentrant sur la mise en application des méthodes préconisées dans de nouveaux manuels. En complément, les enseignants ont pu bénéficier de stages dans des pays où cette approche est bien maîtrisée comme la Chine. L’expérience semble avoir été payante car le niveau en maths des jeunes britanniques a nettement progressé : le Royaume-Uni qui était à la 17e place du classement PISA est passé à la 11e en 2022.

En France, la méthode Singapour infuse dans l’enseignement des mathématiques depuis que Jean-Michel Blanquer a lancé le chantier en 2018 d’une adaptation au programme français. On la retrouve déjà dans certains manuels, et les pouvoirs publics diffusent aussi des explications aux enseignants via les ressources d’Eduscol, le site de formation des profs.

A présent, l’impulsion de Gabriel Attal pour déployer la méthode le plus largement possible devrait accélérer les choses et montrer si la révision des manuels en ce sens, la production de ressources pour les profs et les premiers efforts de formation améliorent le niveau des élèves. Il faudra une véritable mobilisation des enseignants et une appropriation de cette approche pour transmettre l’envie de faire des maths à ceux qui en ont le plus besoin.

Est-ce que ce déploiement de la méthode produira des résultats ? Il est encore trop tôt pour le dire mais gageons que cela fera bouger les lignes et transformera en profondeur la pédagogie des maths en France, la production des manuels, et la formation des enseignants, il en va de l’avenir des jeunes.

 

Les enjeux sont colossaux

 

Avec la pratique déclinante des mathématiques que l’on observe ces dernières années, la France a perdu à la fois ses traditionnelles élites sélectionnées par les maths au profit d’autres filières plus littéraires et les contingents des jeunes de milieux modestes pour qui les mathématiques pourraient ouvrir d’intéressantes perspectives. Dans un contexte international de développement scientifique, les maths ne sont plus l’apanage des médaillés Fields dont s’enorgueillit la France mais des métiers de demain. 

Nous sommes entrés dans une phase de réindustrialisation, de développement de l’intelligence artificielle et du numérique, d’accélération du changement climatique, de besoin de soigner une population vieillissante où l’on ne peut se passer des maths. 

Il est temps de prendre ce problème à bras le corps car rendre les mathématiques accessibles et attractives par une autre approche pédagogique ne semble plus une option.

 

Elisabeth Elkrief, directrice générale de la Fondation AlphaOmega